Le CESAO et les "maîtres-paysans"
A la fin de son mandat à la CINAM, Bernard s’engage dans une réflexion profonde. La voie ouverte à la fin des années 1950 par le Père LEBRET consistait à « construire un ensemble d’articulations entre les décisions de politiques sectorielles (économique, technique, sociale et culturelle) et les initiatives des gens tant au niveau national qu’au plan des villages ». Bernard s’y était engagé avec toute son énergie, mais il doit bien constater qu’elle ne porte pas les fruits espérés. L’expérience des ZAPI lui a montré que les efforts d’organisation du milieu rural entrepris à partir d’initiatives extérieures finissaient par produire une société assistée, soit l’inverse de la visée initiale. « Il ne fallait pas que l’initiative parte de nous, dit-il, mais des paysans eux-mêmes ! »
Dans les années 1970 il avait créé, avec plusieurs anciens des ZAPI et des amis comme Fernand Vincent, le « Groupe d’Appui aux Organes Locaux de Développement (GAOLD) ». Après son départ de la CINAM, il recherche un terrain pour tester cette nouvelle approche. Il va le trouver au CESAO, le « Centre d’Etudes Economiques et Sociales d’Afrique de l’Ouest ».
Le CESAO avait été fondé en 1960, à Bobo-Dioulasso, par les Pères Blancs pour former des cadres du développement. En 1970, Bernard avait réalisé une évaluation du CESAO, qui concluait que les anciens stagiaires (venus de divers pays d’Afrique de l’Ouest pour deux années scolaires) ne servaient pas plus que cela « au développement ». Certains poursuivaient leurs études à l’université, les autres retrouvaient leur poste mais sans avoir suffisamment de poids pour influencer leurs supérieurs. A la suite de l’évaluation, le directeur du CESAO Piet BUIJSROGGE, était convenu que l’objectif devrait être non pas de former des cadres moyens mais des leaders paysans. Bernard est embauché par le CESAO pour réaliser cet objectif grâce à des financements apportés par Misereor et la Direction du Développement et de la Coopération suisse. Renée, son épouse, travaille avec lui sur un contrat local.
La démarche de Bernard va être profondément influencée par sa rencontre avec ceux qu’il appelle ses « maîtres paysans ».
D’abord Jean Gabriel SENI, le premier président de « l’Union Provisoire des Paysans Africains (UPPA) » où se retrouvaient les premiers leaders paysans sénégalais, ivoiriens et voltaïques.
Bernard découvre que ces « responsables paysans mettaient en question le système de vulgarisation où la parole descend de l’ingénieur à l’encadreur, de celui-ci au moniteur et du moniteur au paysan. » Il prend conscience des limites de l’aide qui fonctionne suivant ce processus. Elle est non seulement un frein mais un obstacle car elle empêche l’initiative.
Bernard dit « dans un milieu où la tradition puis la colonie avaient déjà sévi, l’aide continuait à donner du tout-pensé, du tout-cuit (préparé à l’avance et loin du village) ". Il rapporte la parole d’un paysan : « Quand tu leur proposes quelque chose, les cadres te disent : ’Non, ce n’est pas dans le projet’ »
En 1973, Bernard rencontre son deuxième « maître paysan » Bernard Lédéa OUEDRAOGO. Il avait été instituteur et l’un des pionniers de « l’école rurale » en Haute-Volta ; il avait imaginé d’en poursuivre l’action en incitant les élèves à s’organiser en groupements post-scolaires, les « groupements Naam ».
Bernard se découvre une nouvelle vocation : « faire exprimer des personnes expérimentées, les amener à confronter leurs expériences et à tracer ensemble des avenirs possibles ».
Son troisième « maître-paysan » sera Mamadou Cissokho, le stratège des organisations paysannes. Bernard rapporte ses propos : " Il faut que tous ces groupes différents acceptent de coopérer ensemble pour avoir une force au niveau national ». C'est avec lui que Bernard lancera l'association Six-S au Mali et au Sénégal et Mamdou Cissokho sera ensuite le fondateur de la FONGS, la Fédération des ONG du Sénégal, puis du ROPPA, le Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs d’Afrique de l’Oues.