Le Père Lebret et la CINAM
Issu d’une famille d’industriels du textile du Nord de la France, Bernard s’était destiné, « par esprit de famille », à rejoindre son père dans l’entreprise. Il passe donc son diplôme d’ingénieur à Lille et en même temps, il milite dans la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC) puis à « Économie et Humanisme ». Cette association, fondée en 1941 par le Père LEBRET, veut favoriser la rencontre entre l'économie et la doctrine sociale de l'Église et contribuer à l’émergence d’une « économie humaine » compatible avec les exigences de la justice. Bernard rencontre le Père LEBRET en 1947 à Lille, à une conférence. Il anime des équipes locales d’Economie et Humanisme à Roubaix, puis à Mulhouse où il travaille comme ingénieur. En désaccord avec les pratiques de management et de gestion du personnel de son patron, il démissionne.
Il demande alors au Père LEBRET à suivre un stage à Calluire, au centre d’études d’Economie et Humanisme. Il y reste plusieurs mois et réalise beaucoup d’enquêtes auprès de diverses populations pauvres. Un jour, le Père LEBRET le voyant disponible, le fait embaucher par Georges CELESTIN au sein d’un bureau d’études : la « Compagnie d’Etudes Industrielles et d’Aménagement du Territoire » (CINAM) . On était en 1958 en pleine préparation des indépendances africaines et le Père LEBRET avait été choisi comme conseiller économique pour le premier « pré-gouvernement » sénégalais, dans la dynamique de la préparation des indépendances. L’idée du Père LEBRET était de faire élaborer par le gouvernement un plan à long terme et de mettre en place un appareil de mise en œuvre du plan aux niveaux national, régional et local. Un bureau d’études était chargé de repérer les potentialités et les problèmes agricoles, un autre de décrire les potentialités hydro-agricoles et la CINAM s’occupait des conditions sociales et économiques du développement et de la coordination de l’ensemble.
Au Sénégal, à Noël 1958, Bernard rencontre Renée Dupont, une jeune juriste. Ils se retrouvent autour du même engagement, celui d'aider les nouveaux pays indépendants et décident de se marier à Dakar en 1960.
Avec la CINAM, Bernard mène de nombreuses études de planification au Sénégal, puis à Madagascar et à nouveau au Sénégal en 1963-1965. Il découvre peu à peu que l’approche de planification intersectorielle préconisée par le Père LEBRET est de plus en plus marginalisée par les sociétés d’Etat sectorielles (Coton, Arachide, Riz) pensées et dirigées par des ingénieurs pour la plupart français. Alors que le premier chef du gouvernement sénégalais, Mamadou DIA visait la « prise de responsabilités des ruraux agissant au sein de coopératives de développement », les sociétés d’Etat mettent en place un système pyramidal d’encadrement des paysans qui place les coopératives sous tutelle.
Bernard sent que cet encadrement anéantira tout espoir de planification à tous les niveaux et que les décisions se prendront sans les principaux intéressés, les paysans. En juin 1965, il accepte le poste de Directeur Adjoint de la CINAM, en poste à Paris. La CINAM change de statut et devient une coopérative. Bernard se passionne pour sa nouvelle tâche qui combine le management d’une entreprise avec une approche humaniste. Il s’attache à faire « réussir la coopérative » qui emploie une soixantaine d’associés salariés et de très nombreux collaborateurs africains.
A partir de 1967, le chantier dominant de la CINAM outre-mer devient la mise en œuvre de « Zones d’Actions Prioritaires Intégrées (ZAPI) » dans l’Est et le Centre-Sud du Cameroun. La CINAM propose une approche innovante visant à donner l’initiative aux paysans : la responsabilité des activités est confiée à des « Entreprises de Progrès Local (EPL) », dont des comités de planteurs seraient co-fondateurs et deviendraient actionnaires.
Mais finalement le poids de l’Etat et des fonctionnaires ne permettra pas au projet de se développer sainement et de durer. Une nouvelle fois, les délégués paysans sont marginalisés et coupés de leur base.
En 1969, la CINAM connaît des difficultés financières et, en 1970-1971, Bernard, malgré ses réticences, doit licencier plus de vingt salariés. Bernard devient président. Cependant, se rendant compte qu'il ne parvient plus à obtenir des contrats de groupe sur le modèle des ZAPI et que les contrats simples d'expert ne l'intéressent pas, il ne renouvelle pas son mandat et quitte la CINAM.